HARCÈLEMENT MORAL ET OBLIGATION DE SÉCURITÉ : DEVOIR DE PRÉVENIR, D’AGIR MAIS AUSSI D’ENQUÊTER !

By 19 janvier 2021Veille

Qu’il s‘agisse de leurs activités courantes ou exceptionnelles, la plupart des dirigeants craignent d’exposer leurs équipes à des risques professionnels sans pouvoir les identifier ou disposer des mesures de prévention ou de protection efficaces.

La révolution tertiaire a pourtant multiplié les facteurs d’exposition à ces risques. Vitesse et technologie ont en effet sensiblement transformé la nature des risques et des réponses à apporter en matière de prévention des risques professionnels.

Selon Paul Virilio, « La liberté de choix et d’intelligence en commun est contestée par l’exigence, en tous domaines, de réponses immédiates. Désormais, la vitesse est vraiment devenue notre milieu, nous n’habitons plus la géographie mais le temps mondial au point d’en éprouver presque un malaise physique. » ( Paul Virilio, « L’art du moteur », éditions Galillée 1993).

Bien qu’ils paraissent moins spectaculaires que les dommages physiques, les risques psychosociaux sont tout autant préjudiciables aux salariés et aux collectifs de travail.

La part d’interprétation subjective inhérente aux formes de violences morales trouble la perception du risque et de la responsabilité de l’entreprise et paralyse souvent  l’action.

Or, en matière de santé au travail, cette responsabilité est assortie d’une obligation de résultat qui impose à l’employeur de prendre toutes « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.» (article L.4121-1 du code du travail).

En cas d’incident au titre duquel la responsabilité de l’entreprise est invoquée, il lui incombe de démontrer que cet évènement est étranger à tout manquement à son obligation de sécurité (Cass.soc. 28/05/2014, n°13-12.485).

La charge de la preuve repose donc principalement sur l’employeur et le champ de mise en cause de son obligation de sécurité est de plus en plus vaste.

En matière de harcèlement moral, le régime diffère quelque peu car le législateur a imposé au salarié victime  de présenter les éléments matériels laissant supposer l’existence d’un harcèlement. C’est ensuite à l’employeur de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que le comportement incriminé est justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (Cass.soc.08/06/2016, n°14-13.418).

YVAN WILLIAM 
CABINET D’AVOCATS INDÉPENDANTS EN DROIT SOCIAL, ANCIEN DRI-I ET DIRECTEUR DE PROJET EN STRATÉGIE SOCIALE

La prévention du harcèlement moral fait pour autant partie du plan général de prévention que l’employeur doit mettre en place au titre de son obligation de sécurité à l’instar des autres formes de violences au travail.

Ce plan ne se limite ni à l’élaboration du document unique d’évaluation des risques professionnels, ni à la mise en place d’une procédure spécifique d’alerte (Cass.soc.01/06/2016 n° 14-19.702).

Pour satisfaire à son devoir de prévention, l’employeur doit en effet  justifier avoir pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir la situation au titre de laquelle la santé et la sécurité du collaborateur serait menacée.

Sur ce dernier point, l’information et la formation du personnel sont retenus comme un des indicateurs justifiant  l’absence de manquement par l’employeur à son obligation de sécurité. En matière restructuration, la mise en place d’« un plan global de prévention des risques psychosociaux comportant notamment un dispositif d’écoute et d’accompagnement ainsi qu’un dispositif d’évaluation des conditions de vie au travail et de formation des managers » a pu par exemple être jugé suffisant (Cass. soc. 22/10/2015 n° 14-20.173).

Outre la prévention, l’employeur qui « informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser », est réputé avoir satisfait à ses obligations (Cass.Soc.05/10/ 2016, n°15-20.140).

Les juges appellent donc l’employeur à un devoir d’action mais surtout d’efficacité. Les mesures prises doivent permettre de protéger la victime des faits rapportés et faire cesser effectivement la situation de risque.

Obligation de prévention, d’action mais également d’enquête.

C’est l’apport récent de la jurisprudence dans le cadre d’une plainte interne pour harcèlement moral d’un salarié.

L’entreprise est sanctionnée pour avoir conditionné l’ouverture d’une enquête interne à la preuve par le salarié de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral. L’entreprise est condamnée après qu’il ait été relevé que l’obligation générale de sécurité impose qu’une enquête interne soit engagée même si les conditions spécifiques de sa mise en cause au vu de l’interdiction des agissements de harcèlement moral n’étaient pas réunies (Cass.soc. 27/11/2019, n°18-10.551).

Quel que soit la nature des faits, l’employeur est donc tenu d’engager une enquête interne sur l’existence d’un risque ou la survenance de faits susceptibles de constituer un manquement à son obligation de sécurité. La conformité de votre processus d’enquête interne et de gestions des risques psychosociaux devra être analysé à la lumière de ces jurisprudences.

N° 1460/1461 du 16 décembre 2019 au 5 janvier 2020 –

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